Dans une vie, il y a des moments, voire des périodes entières, qui nous marquent plus que d’autres et qui laissent une trace plus profonde tant dans l’argile de nos mémoires que dans nos manières d’appréhender notre environnement et notre existence.
Ces moments et les événements qui les ont élevés au rang de souvenirs indélébiles sont souvent d’ordre intime, des joies et des drames personnels qui ne se rendent lisibles qu’à nos proches. Je pense ici aux naissances, aux deuils, aux accidents de parcours personnels, aux réussites et aux victoires individuelles et collectives, aux relations poursuivies ou interrompues, nourricières ou toxiques qui jalonnent nos existences.
Ces événements, ces liens, quels qu’ils soient, font de nous ce que nous sommes à chaque instant de nos vies. Sans que nous en soyons seulement la somme, ils nous construisent cependant et font de chacun d’entre nous l’être unique qu’il est.
Il existe aussi des moments et des événements plus globaux, dont l’impact est énorme à plusieurs niveaux. Ils ont la particularité de concerner à la fois tout le monde et tout un chacun.
Tout le monde, parce qu’ils changent l’ordre des choses – social, économique, politique, géopolitique, biologique, … – ou les modes de vie, plus ou moins directement , plus ou moins brutalement, plus ou moins rapidement, pour au moins une grande partie de l’humanité, sinon la totalité de celle-ci.
Tout un chacun, parce qu’ils ont aussi un impact plus profond sur les individus singuliers que nous sommes, et viennent se métaboliser dans nos chairs, dans nos pensées, dans nos émotions.
En ce qui me concerne, les six premiers mois de 2020 seront, sans nul doute, et toutes proportions gardées, un de ces moments marquants.
Je ne sais pas si ce premier semestre indique le début du bouleversement espéré par les uns et redouté par les autres, ou bien s’il s’agit d’un simple soubresaut qui n’aura, sur le long terme, pas plus de conséquences que cela. Les analystes de toute obédience et les spécialistes de toute discipline sont déjà à l’oeuvre pour nous en donner une exégèse détaillée.
Ce que je sais, c’est que c’est une véritable traversée.
Rendez-vous compte :
À des degrés divers, l’ensemble de notre espèce fait face à un même adversaire, immédiat, invisible, qui se fiche de la géographie, de la politique ou de la philosophie, de la couleur de peau, du genre et des idées. Une expérience commune qui vient raviver les préoccupations existentielles et nous remet dans notre commune humanité. Ce n’est certes pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière, mais cette-fois ci, personne ne peut dire « je ne savais pas ». Un rêve, ou un cauchemar, d’auteur de science-fiction.
À des degrés divers aussi, la moitié de ladite humanité s’est vue soumise aux mêmes contraintes et instructions, quel que soit le régime politique : confinement, recommandation de distance physique, interdiction des gestes de contact les plus basiques. Enfermés dans un quotidien exceptionnel, prisonniers extraordinaires dans notre environnement ordinaire.
À l’issue de cela, nous expérimentons ensemble les mêmes paradoxes : le désir de ne rien perdre collé au désir que tout change. Que l’économie reparte vite, mais que les paradigmes sur lesquels elle est construite se transforment. Que les déplacements soient à nouveau possibles, mais que la pollution, sonore, atmosphérique, lumineuse, diminue. Que l’éventail des possibles s’ouvre pleinement, mais que l’incertitude, et son corollaire l’anxiété, disparaissent.
Et, reconnaissez-le, nous sommes passés par tous les mécanismes de défense classique :
le déni : « Oh, c’est bon, ça va hein, il ne s’agit que d’une petit gripette, on va pas devenir paranos » (entendu au départ de la pandémie)
la fuite, le retrait : « je ne sortirai pas de chez moi tant que le monde ne sera pas redevenu absolument sain » (entendu au début du déconfinement)
l’attaque : « nous sommes en guerre » (je vous laisse deviner)
le fantasme : « le monde d’après »
…
La sidération a laissé place à la confusion, qui à son tour, cède le terrain à l’incertitude. Personne n’a encore mesuré la quantité générale de cortisol (l’hormone du stress) générée pendant cette période, mais je peux imaginer qu’une telle étude nous laisserait pantois.
Et c’est ainsi que nous sommes passés de l’hiver à l’été sans même nous en apercevoir. Quatre mois ont filé en un claquement de doigt, quatre mois de statistiques, d’échanges vidéos, de relations virtuelles. Progressivement, chacun tente de reprendre le cours normal de sa vie, en retournant sur les chemins du bureau, en recevant des amis, en retrouvant sa famille, en reprisant un tissu relationnel indispensable, mis à mal par les accrocs de la distance.
Étrangement, le besoin de vacances semblent encore plus prégnant que les autres années à la même période.
Nous sommes tous sortis “essorés” de cette période de ralentissement forcé. Comme dans les montagnes russes d’un parc d’attraction : l’expérience est tellement intense, elle sollicite tant nos sens, que ça fait du bien lorsqu’elle s’arrête.
C’est tout ce que je vous souhaite pour cet été. Que cela s’arrête un peu.
Je vous souhaite de très bonnes vacances, en famille, entre amis, où que vous alliez, quoi que vous fassiez avec qui que ce soit.
Je vous les souhaite ressourçantes, reposantes, résilientes.
Je souhaite que vous y trouviez la paix et le plaisir qui vous permettront de vous réaligner, de vous recentrer, de prendre soin de vous et de votre entourage.
Je vous souhaite d’y cultiver les liens qui nourrissent sans pour autant remplacer une frénésie par une autre.
Je vous souhaite de ralentir, et de goûter ce ralentissement du corps et de l’esprit.
Je vous souhaite d’apprécier la liberté de pouvoir « aller vers ». Aller vers les gens qui vous attendent. Aller vers les lieux dont vous avez envie et besoin. Sans oublier d’aller vers vous-mêmes.
Je vous souhaite, alors, d’entendre Jane Goodall et de vous demander « quelle différence vous voulez faire » autour de vous. Il ne s’agit jamais de baisser ses ambitions, mais toujours d’ouvrir l’éventail des possibles.
Je vous souhaite tout simplement un bel été,
Et je me réjouis de vous retrouver à la rentrée, avec une nouvelle énergie, et, je l’espère, de nouveaux désirs à transformer en projets.
Discutons ensemble de vos sujets de réflexion et de vos questionnements