Traverser le chaos. Traverser le chaos. Traverser le chaos. Antoine se répétait ce mantra depuis une semaine. Une semaine de folie. Non. Plutôt une semaine d’enfer. Une semaine de chaos général. Qu’il lui avait fallu traverser. Qu’il le veuille ou non. Bizarrement, il ne gardait des événements qu’un souvenir confus.
Tout était sens dessus-dessous depuis sept jours. Il n’avait fallu que sept petits jours et un virus invisible pour mettre toute la planète économique et industrielle à genoux. Elle n’était pas encore à terre, mais il n’en fallait pas beaucoup plus pour porter un coup fatal à l’ensemble du système tel qu’il tenait, bon an mal an, depuis plusieurs décennies.
Une crise mondiale, que personne ne semblait avoir vu venir. Et contre laquelle personne, aucun pays, aucun gouvernement, aucune instance, ne semblait préparé à réagir, et n’était prémuni. Petit-à-petit, tous les rouages humains et industriels de chaque pays s’étaient grippés, les uns après les autres, par effet rebond. Une démonstration grandeur nature de ce que Nathan appelait « l’effet mycelium » : la contamination progressive de tous les systèmes interconnectés. Cette fois, il ne s’agissait plus d’une métaphore.
Et que dire des « Petits Papiers Parisiens », les P.P.P., au milieu de tout ça ? Son usine de papeterie, sa création, le fuit de son imagination et de ses efforts, qui avait dû fermer ses portes depuis le déclenchement du plan « confinement » par le gouvernement ?
Deux cent huit personnes dont il avait fallu régler la situation au cas par cas, d’abord par catégories, puis par fonctions, et enfin par rôles. Les équipes sur les chaînes de production avaient, dans un premier temps, été réduites au strict minimum dans les ateliers. Au bout de trois jours cependant, il avait fallu se résoudre à renvoyer tout le monde chez soi et à mettre la totalité des techniciens en chômage technique.
Les commerciaux, constamment sur les routes, ou dans les airs pour l’activité internationale, avaient été confinés à la maison, en télétravail pour la plupart d’entre eux. Du moins pour l’instant. Si la situation durait, il se doutait qu’il devrait recommander le chômage partiel pour eux aussi.
Jusqu’à aujourd’hui, les services supports avaient eu suffisamment d’activité pour justifier le travail à distance. La mise en place, en urgence, d’un serveur centralisé permettait à chacun d’accéder à ses fichiers et ses messages depuis leur lieu de confinement.
Il avait fallu six jours pour tout organiser. Il ne pouvait que se féliciter des efforts de chacun pour y parvenir. Il restait bien des cas particuliers ici ou là, mais même ceux-ci commençaient à trouver une solution adaptée. Une semaine de folie pendant laquelle il n’avait dormi que quelques heures par nuit, et encore, pas toutes les nuits. La frénésie du moment, et il ne comptait plus combien de litres de café, lui avaient permis de tenir le coup jusqu’à aujourd’hui. Cependant, la fatigue commençait à se faire sentir et, sous la fatigue, les doutes pointaient leur nez : qu’allait-il advenir des P.P.P. ? Parviendrait-il à relever la barre ? Le plus dur était-il vraiment passé ou bien les épreuves les plus déterminantes se trouvaient-elles encore devant eux ? Combien de malades dans les équipes ? Aucune victime à déplorer pour l’instant, mais pour combien de temps encore ?
Autant de questions qui se bousculaient dans son esprit pendant qu’il essayait de ramener le calme dans celui de ses équipes.
Fidèle au conseil de Nathan, il avait mis en place deux canaux de communication avec ses co-directeurs :
Pour l’instant, tout allait du mieux possible. Bien qu’enfermés chez eux, les responsables de département de l’entreprise semblait tenir bon face à la crise. Ils s’assuraient à leur tour de la solidité et de l’intégrité du tissu relationnel des P.P.P. Les instructions étaient claires : on ne laisse personne seul. Tous les collaborateurs isolés ou en situation de famille difficile devaient être appelés régulièrement. Toutes les équipes devaient avoir des contacts internes quotidiens. L’alerte était maximale et la solidarité interne devait jouer son rôle à plein.
Ils allaient entamer leur seconde semaine de confinement. Et il n’y avait aucun moyen de savoir combien de temps celui-ci allait durer.
Antoine était conscient que, dans une crise, il y avait trois stades à gérer :
Pour Antoine il s’agissait de gérer son effort afin de ne pas s’épuiser en menant ces trois combats en parallèle.
Le temps de la réaction semblait toucher à son terme. Tout le système s’était réajusté pour pouvoir passer à la deuxième phase, tenir dans la durée. Il devait prendre du recul pendant cette phase-là et laisser toute autonomie à ses managers pour la gérer. Son rôle tenait à présent plus de la supervision que de l’action. Il devenait l’ancre à laquelle chacun dans l’entreprise devait pouvoir se raccrocher afin de limiter les effets de bord de la crise. Suffisamment loin pour avoir une vision globale des besoins et des nécessités de toute l’organisation, et pourtant suffisamment proche pour pouvoir intervenir dès que nécessaire. Il devenait à la fois un super pompier et un méta-animateur.
Dans le même temps, son devoir était de commencer à préparer l’après et donc, dans son coin pour l’instant, d’entrer dans le temps de la projection, auquel il pourrait associer toutes les autres parties-prenantes – associés, directeurs, collaborateurs, banquiers, etc – au moment opportun.
Il était temps pour lui de prendre un nouveau rendez-vous avec Nathan…
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